« Quelles mobilités pour demain ? », la réponse de Daniel Coulaud, géographe urbaniste
| 07/03/2011 | 13:52 | Transport et infrastructures
Daniel Coulaud, géographe urbaniste, apporte son point de vue sur la question développée dans le Moniteur n°5596 du 25 février 2011.
Il est vrai que les déplacements se sont multipliés dans une ville désormais éclatée. Ils se sont aussi diversifiés, ceux entre domicile et travail étant désormais minoritaires. L’automobile en assure l’essentiel et sa part ne diminue pas. On en connaît les conséquences environnementales, paysagères et aussi de pression budgétaire sur les habitants.
La lecture du Moniteur permet de constater la multiplication des expériences « alternatives », notamment locales, en commençant par les améliorations possibles de la voiture : diminution du CO2 émis, voitures électriques, co-voiturage, auto partage, taxis collectifs, mais aussi vélos, tramways… Ces expériences ne sont pourtant pas à la mesure des nouvelles dimensions de la ville et donc des besoins de déplacements, la voiture assurant toujours plus des quatre cinquièmes des km parcourus.
Si on la définit comme l’espace de la vie quotidienne de ses habitants, la ville c’est aujourd’hui l’aire urbaine. C’est-à-dire, selon l’INSEE, l’ensemble des communes dont au moins 40% des actifs travaillent dans le pôle urbain (l’agglomération). Cette aire s’élargit sans cesse, au point d’atteindre les limites départementales dans de nombreux cas. Il ne s’agit pas seulement de personnes se déplaçant davantage : la croissance démographique est d’autant plus forte que l’on s’éloigne des pôles urbains. La limite bien connue est celle de la demi-heure de déplacement et non la distance : « la voiture ne permet pas de gagner du temps mais de l’espace ». Toute amélioration routière intègre donc de nouveaux villages à la ville. De nombreuses régions connaissent une véritable « explosion villageoise » (1) avec bien des côtés positifs comme la renaissance des villages et aussi des inconvénients : la nécessité de déplacements plus lointains d’une population qui n’est plus agricole ni rurale. Cette dispersion urbaine assure un quasi monopole à la voiture individuelle. Les transports en commun, pas plus que le vélo, ni même le tramway ne répondent à cette demande. La persistance du goût des français pour l’habitat individuel et leur choix pour la petite ville et le village, vérifié lors de tous les sondages depuis 50 ans, n’est pas près d’inverser cette tendance.
Peut-on nier que la voiture individuelle est la réponse le plus adaptée à l’impératif de ces déplacements familiaux, par sa rapidité, sa souplesse, sa disponibilité ? Lui opposer un nécessaire «changement de mentalité » ne changera rien à cette réalité. Il est bien entendu souhaitable que la voiture électrique surmonte ses difficultés. Il sera tout de même nécessaire de … produire de l’électricité et de faire des routes pour qu’elle puisse circuler. Il faut bien prendre en compte également qu’une voiture est multi usage et qu’on ne peut pas avoir une voiture pour chaque type de déplacement : aller chercher ses enfants et partir en vacances.
Les habitants changeront de système de transport lorsqu’ils y auront intérêt : souplesse, fréquence, proximité…ou par obligation : pénurie de carburant ou coût trop élevé. Il ne s’agit ni de problèmes techniques, ni de mentalité : les solutions actuelles ressemblent elles à s’y méprendre à celles promues lors de crise de 1973 : le vélo déjà à La Rochelle à ce moment là, le co-voiturage et les voitures de location, les micro voitures de ville, la voiture électrique, techniquement au point depuis 1900… ! Avec quels résultats à terme ?
Alors, « quelles mobilités pour demain ?»
Il est nécessaire de faire un bon diagnostic et reconnaître la ville éclatée. Les notions de « retour à la ville » et même de « ville dense » prônée par bien des professionnels et les pouvoirs publics, sans effet depuis un demi siècle, empêchent d’aborder des solutions opérationnelles. Chaque habitant des pays riches consomme de cinq à dix fois plus d’espace qu’en 1945 et les villes sont dix fois plus peuplées. Retour à quelle ville donc ?
Les nouvelles dimensions de la ville impliquent une multiplication des déplacements mais il faut faire en sorte que la voiture n’en possède pas le monopole. On ne changera pas un moyen contre un autre mais l’union de toutes les possibilités : marche à pieds, vélo avec ou sans moteur, automobile électrique ou non… vers une station de tram train qui assurera l’intermodalité et l’essentiel du trajet. Il ne s’agit pas d’un tramway, même prolongé, qui reste à l’échelle de l’agglomération, c’est-à-dire de la ville des années 70. Le T.E.R. relie les villes importantes mais assure mal cette fonction d’intermodalité. Le tram train est adapté à l’échelle de l’aire urbaine. Il reste sans doute à construire, à quelques exemples près tels ceux de Lyon ou Mulhouse. Mais il ne manque pas de voies ferrées secondaires désaffectées ou non irriguant le territoire départemental. Il en reste souvent les emprises, parfois utilisées en voies cyclables touristiques et plus souvent en voiries secondaires pour automobiles. Elles offrent tous les espaces souhaités pour le stationnement des voitures. Les déplacements ne seraient donc plus assurés par un seul outil – alors forcément l’automobile – mais avec une « rupture de charge » à proximité du domicile : jusqu’à 10 km en voiture vers la gare la plus proche, quelques km à vélo, 500 m à pied. Le tram train doit bien évidemment être pratique (on peut y monter son vélo) et confortable, le stationnement gratuit, aisé et sécurisé pour tous les véhicules, la desserte cadencée, de grande amplitude horaire, les arrêts en nombre limité (bien moins que le tramway). Il doit être peu coûteux (on constate un grand succès des « cars à un euro » quelle que soit la distance dans le département de l’Hérault). Il parvient au cœur de la ville avec des arrêts en banlieue où sont groupés de nombreux emplois. Il ne s’agit pas de rétablir la totalité des trains départementaux mais de dessiner un réseau de trois à quatre lignes par département sur les axes de vie la plus intense : vallées…que l’on connaît bien localement. Il y a là un beau chantier et de nombreux emplois non délocalisables à créer.
Cela nécessite une modification de la gouvernance des transports. Actuellement, tous les niveaux, de la commune à l’Etat (voire de multiples pour l’Etat : partage SNCF-RFF par exemple) possèdent la compétence sur leur territoire. L’habitant usager ne trouve pas la continuité d’équipement et de gestion qui lui est indispensable : le tramway ne saurait quitter la communauté qui le finance. C’est au niveau l’aire urbaine, celle des déplacements quotidiens, et donc du département, que devraient être organisés les transports urbains (Plan des Déplacements Urbains) en coordination avec les autres autorités organisatrices: bus urbains, plan local de circulation mais aussi réseau d’itinéraires cyclables enfin crédibles, ce qu’ils ne sont pas dans la plupart des villes de France.
Le coût est bien entendu évoqué. Encore faudrait-il le chiffrer et le comparer aux économies réalisées en d’autres domaines, routiers par exemple, voire environnementaux et sociaux. N’oublions pas que la moitié des français n’a pas accès à l’automobile compte tenu de l’âge, des revenus ou de l’état de santé. Quant aux transports en commun (sauf en région parisienne), ils mordent bien peu sur les habitants qui n’en sont pas captifs.
Il ne s’agit donc pas de condamner la voiture individuelle ou d’en limiter l’utilisation mais de « la remettre à sa place » au profit de modes alternatifs et d’intermodalités commodes. Les villes de Suisse ou d’Allemagne y parviennent parfaitement. Mais – et l’on entre là dans la rubrique : « indignez-vous !» – les pouvoirs publics font-ils tout ce qu’il faut pour cela. On nous demande de « changer de comportement » en matière de déplacements, sans que rien ne change de ce qui pourrait nous y inciter. Veux-t-on vraiment diminuer l’utilisation de la voiture ? Par les aides à l’industrie automobile ou les primes à la casse ? C’est à dire baisse des ventes et des taxes sur les carburants, l’une des principales ressources de l’Etat, taxe particulièrement injuste à l’égard des catégories les plus modestes. Le conseil immanent n’est-il pas plutôt de ne rien changer à notre comportement. C’est ce que font les français. Ce qui répondrait à la question posée : « quelle mobilité pour demain ? »
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Focus :
L’immobilité favorise la mobilité !
Depuis plusieurs années, les professionnels du mobilier urbain se sont lancés dans une nouvelle démarche pour améliorer le cadre de vie des citadins, celle des aménagements spécifiques pour stationner les deux roues en ville et chez les bailleurs.
En avril 2006 le CERTU avait lancé son grand projet de Code de la Rue, en 2010, de nombreuses opérations ont été réalisées, tant avec les Collectivités Locales qu’avec l’Habitat Public et Privé, en intérieur et en extérieur pour sécuriser le stationnement des vélos suivant les contraintes des Maîtres d’Ouvrages.
La gestion du stationnement des vélos a largement été traitée par nos voisins Belges et Hollandais mais aussi à travers les travaux du Club des Villes Cyclables et fait apparaître qu’un deux roues est immobilisé à plus de 95% de son temps. Autre enseignement qui démontre bien que le stationnement sécurisé est la base d’une politique de vélo durable : il faut deux années à un particulier pour racheter un vélo en cas de vol.
Alors pour favoriser le stationnement courte durée sur de simples arceaux, moyenne durée sous des abris et longue durée dans des locaux, il est souhaitable de respecter les critères du CERTU sur la proximité, l’accessibilité et la sécurité sans oublier d’apporter les compléments nécessaires pour la protection, l’information et la visibilité.
A l’instar des locaux pour le tri des déchets ménagers, l’article 12 – Stationnement – des PLU prévoit la création de places longue durée pour les vélos prises sur la SHON mais les visiteurs moyenne durée sont encore oubliés. Paris Habitat a bien lancé son concept « Espace Vélos » mais les deux roues évoluent vers l’assistance électrique, les remorques et les tricycles créant le problème de la gestion de l’espace intérieur par rapport à la valeur économique de la surface !
Donc, incitons les concepteurs et réhabiliateurs à aménager de véritables locaux extérieurs sécurisés pour réellement favoriser une utilisation facile et quotidienne du vélo.
Mais attention, c’est déjà le cas pour Paris intra muros et sa première couronne, la prolifération des scooters modifie les modes de circulation et encourage bien sûr le stationnement sauvage … vigilance sur l’évolution de ces usages qui se conjuguent décidemment très mal les uns avec les autres dans le partage de l’espace urbain où le plus fort mécanisé règne encore bien souvent sur le plus faible piéton et pire encore, au détriment des personnes à mobilité réduite.
Rodolphe DUGON
Président de www.espace-harmonie.fr
Secrétaire Général du Syndicat PROMU – PROfessionnels du Mobilier urbain
Editeur de www.charte-urbaine.com
Quelle mobilité pour demain ?
Le secret de la mobilité de demain et la multimodalité ! Arriver à destination en train et avoir le choix entre trois lignes de métro, un vélo en libre service ou bien une voiture en covoiturage pour effectuer le dernier kilomètre est le rêve de n’importe quel voyageur. Si, en plus, on peut retrouver dans la gare un salon de coiffure, une crèche, une bibliothèque, un dentiste, un magasin ouvert 24 h/24 et 7j/7,… Alors, là, on se croirait au paradis des transports en commun. Quels services souhaitez-vous trouver dans la gare du futur, le pôle multimodal par excellence ?
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